Les atteintes à l’éthique dans le service public au Burundi: une banalisation qui mine le fonctionnement de l’Etat

UNIVERSITE DU LAC TANGANYIKA

 Résumé : L’organisation et le fonctionnement des servi-ces publics sont commandés par un certain nombre de princi-pes (égalité, continuité, mutabilité) appelés également « lois du service public ». Cette trilogie traditionnelle a été complé-tée par de « nouveaux principes » qui apportent des préci-sions sur le fonctionnement du service public (sécurité, quali-té, efficacité et accessibilité). Les principes cardinaux et les principes additionnels ne sont pas toujours respectés.

 

La presse et la société civile dénoncent constamment les dérives d’un système gangrené par la corruption. Celle-ci a des conséquences graves sur le fonctionnement des services publics: justice au plus offrant, baisse de la qualité des pres-tations fournies, pillage des deniers publics, etc.

 

A côté des pratiques corruptives, se sont développés des comportements aux conséquences néfastes sur le fonctionne-ment des services publics. Ce sont des comportements contraires aux valeurs morales d’intégrité, de rectitude, de conscience professionnelle, etc., bref à l’éthique. Il s’agit des conflits d’intérêts, du népotisme, du copinage, du clientélisme, du trafic d’influence et du pantouflage.

 

L’objet de cette contribution, est de préciser ces notions, d’en indiquer les conséquences sur le fonctionnement des ser-vices publics et celui de l’Etat.

Elle s’articule autour de trois parties. La première dé-marche consiste à dessiner, à l’appui d’exemples, les contours des notions d’éthique et de service public.

Il s’agit ensuite de relever les conduites contraires à l’é-thique les plus courantes, d’explorer les logiques contribuant

  • leur banalisation et de dégager les conséquences de ces conduites sur le fonctionnement des services publics et de l’E-tat. Enfin, nous donnons des propositions tendant à la promo-tion des comportements éthiques dans la gestion des services publics.

Abstract: The organization and the functioning of public services are governed by a number of principles (equality, continuity, mutability) also called ̎laws of the public service ̎. This traditional trilogy was complemented by ̎new principles ̎ which bring precision on the functioning of the public service (security, quality, efficiency and accessibility). The cardinal principles and the additional principles are not always re-spected. The press and the civil society denounce constantly the abuses of a system plagued by the corruption. This has serious consequences on the functioning of public services: justice to the highest bidder, drop in the quality of services provided (performances), the plundering of public funds, etc.

 

Apart from the corruptive practices, there has been a de-velopment of behaviors which have serious consequences on the functioning of public services.

These are behaviors contrary to the most common moral values such as integrity, rectitude, professional conscious-ness, etc., ethics in brief. These are conflicts interest, nepo-tism, cronyism, patronage, influence peddling and revolving.

 

The purpose of this contribution is to clarify these con-cepts, to indicate the consequences on the functioning of pub-lic services, that results in the functioning of the State. It ar-ticulates around three parts. The first step is to draw with ex-amples the outlines of the concepts of ethics and public ser-vice. The next step is then to address the conducts contrary to the most common ethics, exploring the logics contributing to their trivializing and to illustrate the consequences of these conducts on the functioning of public services and the State. Finally, we give proposals aiming at the promotion of the ethical behavior in the management of public services.

 

Keywords: State, public service, ethics, trivializing.

 

INTRODUCTION

 

Les pratiques corruptives et les comportements contraires

 

  • l’éthique existent depuis longtemps au Burundi. Le dossier communément appelé « Affaire Ntiyankundiye » illustre bien,

 

durant la première République, le court-circuitage des normes

 

de transparence dans la passation des marchés publics.6 L’une des maladies graves de la deuxième République a été le régio-nalisme et le népotisme. Le sud, quelques clans et leurs alliés

 

étaient bien installés à la tête de l’Etat. Si la troisième Répu-blique et la période qui l’a suivi ont été plutôt marquées par une crise socio-politique sans précédent, elles n’ont pas été épargnées par les pratiques de malversation: achat d’avions qui n’ont jamais volé : 6000000000 frs burundais, affaire Lu-

 

belski:  3000000000  frs  burundais,  dossier  café-carburant:

 

23500000000 francs burundais 7(Observatoire de Lutte Contre les Malversations Economiques, « OLUCOME » 2012). Ces pratiques ont pris une ampleur sans pareil les dix dernières années (Rufyikiri 2016:5).

 

C’est cette période qui nous intéresse, soucieux d’appor-ter notre contribution à la renaissance des valeurs éthiques dans la gestion des services publics au Burundi. Nous articu-lerons ce travail autour de trois parties. Dans un premier temps, après avoir précisé les concepts, nous relevons les dif-férents comportements contraires à l’éthique;

 

  1. Le fournisseur Ntiyankundiye a établi des factures pour des œufs ayant servi à la prépara-tion des omelettes consommées par les prisonniers hébergés à la Prison Centrale de Mpim-ba. Fiction !
  2. Lettre du 25/01/2012 de Gabriel Rufyiri, Président de l’OLUCOME, au Président de la République du Burundi.

 

qui s’ajoutent aux pratiques de corruption : les conflits d’inté-rêts, le népotisme, le copinage, le clientélisme, le trafic d’in-fluence, le pantouflage.

 

Dans un second temps, nous montrons que les comporte-ments contraires à l’éthique, banalisés au sein des services de l’Etat, déterminent le fonctionnement réel de ces services qui baisse de qualité: violation des règles fondamentales, désorga-nisation de l’administration, absence de contrôles, détourne-ment de fonds publics, etc.

 

Enfin, à travers ce travail, nous montrons qu’il est possi-ble d’entreprendre des actions réformatrices dans plusieurs directions (formation, information, répression, stimulation, etc.), mais que pour toute réforme véritable, il y a des préala-bles si l’on veut éviter de s’engager sur une voie sans issue. Dans le contexte burundais, deux préalables sont essentiels: la lutte contre la pauvreté et l’éducation civique.

 

  1. Précisions terminologiques 1.1. La notion d’éthique8

1.1.1. Définition

 

L’éthique dans le service public renvoie à un système de valeurs communes sur lesquelles il n’est pas permis de transi-ger. L’exigence d’éthique se décline comme l’obligation de chacun de se conformer aux règles préalablement établies (Statut général des fonctionnaires du 23 août 2006, articles 4, 5 et 6) ; dont certaines sont clairement énoncées, alors que d’autres sont à dégager des valeurs communes, selon le contexte et la position de chacun dans la société. L’éthique ne se limite donc pas au respect des lois; elle s’étend à un ensem-ble de comportements à forte connotation morale (Transparency International 2002: 119).

 

1.1.2. Fondements de l’éthique

 

L’éthique se manifeste de façon impérative, comme exi-gence morale. Son impératif naît d’une source intérieure de l’individu, qui ressent en son esprit l’injonction d’un devoir.

Il provient aussi d’une source extérieure: la culture, les croyances, les normes d’une communauté. Il y a aussi sans doute une source antérieure, issue de l’organisation vivante, transmise génétiquement (Morin 2004:13). Sans être exhaus-tif, nous relevons certaines caractéristiques d’un comporte-ment éthique dans les développements qui suivent.

8Nous insistons sur l’éthique dans le service public

 

1.1.3. Les caractéristiques d’un comportement éthique

 

Le Statut général des fonctionnaires reprend un certain nombre de ces caractéristiques (Statut général des fonction-naires du 23 août 2006, article 4, point 6).

 

1° L’impartialité

 

L’impartialité peut être définie comme l’absence d’un parti pris, de préjugés, de préférence d’idées préconçues. Aux dires des usagers des services publics, le favoritisme est fré-quent dans les recrutements aux emplois publics. Les agents de l’Etat doivent avoir la force morale nécessaire pour pren-dre des décisions avec une parfaite objectivité, abstraction fai-te de toute sympathie ou antipathie personnelle et sans égard ni au rang du justiciable en cause, ni aux pressions directes ou indirectes qui pourraient éventuellement s’exercer.

 

2° L’intégrité

 

L’intégrité exige que les responsables ne divulguent pas de façon abusive une information, n’abusent pas de leur pou-voir ou des ressources qui leur sont accessibles en tant que responsables. Ils doivent éviter tout conflit entre des intérêts personnels et leur devoir, et résoudre ces conflits dans le sens de l’intérêt public. Cette obligation cherche également à éviter une conduite qui pourrait nuire à la confiance que le public place dans le système d’administration de l’Etat. L’intégrité renvoie au problème général de corruption qui gangrène des services publics.

 

3° La dignité

 

L’agent de l’Etat doit éviter dans sa vie publique comme dans sa vie privée, tout comportement de nature à compromet-tre le prestige de ses fonctions. On rapporte que la situation matérielle des agents de l’Etat les expose à des comporte-ments indignes. La dialectique rundi souligne a contrario cet appel à la dignité: « Ntawugira iteka atekeye mu vyatsi » pour dire qu’il est difficile d’exiger la vertu d’un pauvre.

 

4° La probité

 

L’agent de l’Etat doit éviter dans sa vie privée comme dans sa vie publique, tout ce qui pourrait ébranler la confiance des administrés; la confiance étant une des conditions du bon fonctionnement de l’Etat.

 

5° La loyauté

 

L’agent public doit consacrer son activité professionnelle

 

  • l’exercice des fonctions correspondant à son emploi et en se conformant, tant aux instructions de son supérieur hiérarchi-que qu’aux mesures prises pour l’organisation du service.

 

6° L’esprit patriotique

 

Les agents publics sont libres de militer pour un change-ment de gouvernement ou de régime et s’ils ont le droit de critiquer l’un et l’autre, ils n’ont pas celui d’adopter une atti-tude antinationale (Chapus 1988:174-175).

 

7° La solidarité

 

Le lien de solidarité au sein d’une collectivité porte à l’a-mitié, à l’entraide, à l’altruisme.

 

8° Le sens de la parole donnée

 

C’est une des racines les plus anciennes de l’éthique. Il s’agit du respect des engagements pris contrairement à la tri-cherie.

 

1.2. La notion de service public

 

L’expression désigne une activité (sens matériel), elle désigne aussi un organisme, une structure (sens organique). Mais il est possible de réunir les éléments organiques et les éléments matériels.

 

1.2.1. Deux acceptions 1° L’acception organique

 

Le plus souvent, l’activité de service public est exercée directement par une personne publique. On parlera du person-nel des services publics, du service du personnel d’un ministè-re. Pris dans ce sens, le service public est une organisation, c’est-à-dire un ensemble organisé de fonctionnaires placés sous une même direction, ainsi que des locaux et de moyens financiers ou matériels destinés à faire fonctionner le tout. L’Université du Burundi est un service public au sens organi-que.

 

2° L’acception matérielle

 

Sous ce rapport, le service public est une activité ordon-née sur la satisfaction des besoins d’intérêt général. L’objec-tif, le but d’intérêt public et la finalité de la satisfaction des besoins d’intérêt général de l’activité sont les éléments les plus significatifs. L’enseignement est un service public au sens matériel.

 

1.2.2. Une définition globale

 

Il y a une interférence entre la définition organique et la définition matérielle. Ainsi, le service public est une activité reconnue d’intérêt général, assuré par une personne publique ou confiée par elle à une personne privée placée sous son contrôle, et soumise à un régime juridique entièrement ou par-tiellement étranger au droit privé (Rougevin-Baville et al. 1989: 215).

 

Le service public est soumis au respect de trois principes fondamentaux: l’égalité, la continuité, la mutabilité. De

 

  • nouveaux principes » qui apparaissent en réalité comme des précisions relatives aux conditions de fonctionnement des vé-ritables services publics ont été évoqués: la qualité du service public, l’accessibilité au/du service public, l’efficacité et la sécurité.

 

1.2.3. Les principes fondamentaux du service public

 

On distingue les principes cardinaux et les principes addi-tionnels.

 

1° Les principes cardinaux

 

Les principes cardinaux forment la trilogie traditionnelle:

 

continuité, égalité et mutabilité.

 

  • Le principe de continuité

 

Le principe de continuité renvoie au fonctionnement ré-gulier des services publics et est fondé sur la continuité de l’Etat et la satisfaction continue des besoins collectifs.

 

Signification

 

Parce qu’il correspond à un besoin public reconnu, le ser-vice ne peut être exercé de manière « arythmique » et les usa-gers peuvent exiger son fonctionnement continu. On rattache

 

  • ce principe diverses règles: caractère strict des délais impo-sés, interdiction faite au concessionnaire d’interrompre le ser-vice, sauf cas de force majeure ou fait de l’administration le mettant dans l’impossibilité de continuer l’exécution, ou à un agent démissionnaire de quitter le service avant l’acceptation de sa décision, limitation du droit de grève de certains fonc-tionnaires et agents publics (Rouault 2007:397).

 

Fondement

 

  • La continuité de l’Etat

 

Le premier fondement du principe de continuité du servi-ce public se situe dans la notion de continuité de l’Etat qui est exprimé dans l’article 95, alinéa 1 de la Constitution de la Ré-publique du Burundi. Le Président de la République du Bu-rundi se doit de veiller à son respect, d’assurer par son arbi-trage la continuité de l’Etat et le fonctionnement régulier des institutions. Orienté vers la continuité de l’Etat et centré au-tour de l’action des personnes publiques, de leur intervention concrète, le principe de continuité a pour fonction d’éviter les défauts et les dysfonctionnements divers.

 

  • La satisfaction continue des besoins collectifs

 

Le principe de continuité répond à une demande, voire à une exigence sociale: l’attente de l’usager, voire sa revendica-tion. S’il n’a pas toujours le droit à l’existence d’un service public, l’usager a droit à un fonctionnement normal du service public pour autant que ce service existe.

 

Pour certaines activités, ce fonctionnement normal cor-respond à un service permanent (eau, électricité); pour d’au-tres, il s’agit d’un service périodique (activités culturelles) ou épisodique (formation professionnelle). Les délestages fré-quents de courant électrique constituent une entorse au princi-pe de continuité des services publics.

 

  • Le principe d’égalité

 

Ce principe apparaît comme le corollaire du principe d’é-galité des citoyens devant la loi consacré par l’article 22, ali-néa 1 de la Constitution de la République du Burundi. Il im-plique l’égalité d’accès aux emplois publics, sans discrimina-tion, notamment à raison des opinions politiques des candidats (article 22 de la Constitution, 2005 : 6), l’égalité de traitement des fonctionnaires d’un même corps (article 57 de la Constitu-tion) et l’égalité des candidats usagers et usagers du service public (articles 53 et 55 de la Constitution).

 

Dans la passation des marchés publics, l’entente directe ou gré à gré est une entrave aux exigences de l’égalité des concurrents énoncée par la législation sur les marchés publics (article 1, al.1, Loi n°1/01 du 4 février 2008 portant Code des marchés publics du Burundi).

 

  • Le principe de mutabilité

 

Le principe de mutabilité repose sur l’idée que l’intérêt général n’est pas une donnée figée, immuable: il varie dans le temps ainsi que les méthodes et les moyens destinés à le satis-faire. Le service doit évoluer en fonction des besoins du pu-blic et s’adapter aux changements: innovation technique, ac-croissement de la population. Les modifications intéressant le service public de l’enseignement supérieur ne sont pas subor-données à l’accord des étudiants contrairement à ce qu’on a observé en 2014 (Nkurunziza et al 2014:8-9).

 

2° Les principes additionnels

 

A côté de la trilogie traditionnelle des principes de conti-nuité, d’égalité et de mutabilité du service public sont apparus de « nouveaux principes », inédits, qui auraient pour objet de compléter les lois du service public. A l’analyse, ces préten-dus « nouveaux principes » constituent, en fait, des précisions relatives aux conditions de fonctionnement du service public (sécurité, qualité et efficacité). On peut les grouper en deux catégories.

 

  • Les principes s’attachant aux formes de délivrance des prestations

 

Les idées de qualité ou d’accessibilité relèvent plus des principes à respecter ou des règles à observer par les services publics concernés.

 

La qualité du service public

 

L’une des premières mesures de la qualité du service re-pose sur l’indice de satisfaction du public, donc des usagers. L’objectif est de « rendre le meilleur service ». La qualité d’u-ne prestation de service public doit s’apprécier tant par rap-port aux attentes des individus que par rapport aux missions et aux contraintes d’intérêt général auxquelles elle répond. Sa définition n’est donc jamais mécanique, mais implique néces-sairement des choix et des arbitrages (Gugliemi et al 2007:n° 1407).

 

Si la couverture judiciaire a été améliorée, le fonctionne-ment quotidien de la justice souffre qualitativement de mala-dies graves: absence d’un pouvoir judiciaire indépendant, su-bordination de la justice au pouvoir politique, vénalité des fonctions, insuffisance de la formation des magistrats, etc.

 

L’accessibilité au/du service public

 

Pour tous les citoyens-usagers, l’accès au service doit être toujours assuré. L’accessibilité concerne d’abord la détermi-nation des horaires d’ouverture des bureaux. Dans ce cas, elle est conçue comme un des moyens d’application du principe de continuité du service public. En effet, l’accessibilité relève des politiques d’accueil des administrés, traduites dans les consignes relatives à l’aménagement des locaux, à l’orienta-tion des usagers. Au Burundi, l’aménagement des locaux ad-ministratifs n’a pas toujours tenu compte des usagers handica-pés.

 

La notion d’accessibilité renvoie ensuite largement aux modes d’organisation des services publics sur l’ensemble du territoire. Elle oblige les pouvoirs publics à repenser la déter-mination des lieux dans lesquels les services publics sont éta-blis, donc elle exige que soient évaluées la distance et la proximité de leur implantation par rapport aux habitants sur le territoire de la République (Gugliemi et al 2007:n°1419). La décentralisation territoriale est une réponse à cette préoccupa-tion.

 

  • Les principes s’attachant à l’idée de performance et de précaution

 

L’idée d’efficacité a acquis progressivement une spécifi-cité dans les modes de fonctionnement du service public no-tamment pour rendre compte de la culture de performance et de la force d’un discours sur la compétitivité des activités pu-bliques. L’idée de sécurité accompagne les notions de qualité et d’accessibilité: notamment pour les équipements mis à la disposition des usagers. Tout en garantissant la sécurité des usagers, les services publics de transport (OTRACO) doivent être aussi performants que les services privés.

 

L’efficacité du service public

 

Dans tout système de droit, la notion d’efficacité renvoie dans un premier temps aux thèmes de puissance et de force, notamment dans la perception de la qualité des règles de droit, rappelant ainsi les questionnements à propos de la force du droit et de l’efficacité des normes juridiques. Les discours re-latifs aux services publics ont transformé cette perspective en l’inscrivant presqu’exclusivement dans les contextes écono-miques: désormais, ce sont les logiques de l’efficience, de la productivité et du rendement qui sont retenues. Le 27 janvier 2013, on a constaté l’inefficacité des services de lutte contre l’incendie (Kaburahe et Rugero 2013:4 ; Urakeza 2013:3). Alors lorsque le feu s’est déclaré au Marché Central à 7 heu-res 45 minutes du matin, les services de secours ont commen-cé leur intervention à 8 heures quarante-cinq minutes.

 

Aucun camion-citerne ne stationnait au Marché Central. Le Marché Central a été dévasté par le feu. Il y a aussi la dimen-sion sociale du service public. Pour certains, c’est plutôt la notion d’efficacité sociale qui refléterait la logique du droit de service public dans la mesure où elle rejoint la fonction de l’accessibilité et contribue au renforcement des liens entre les administrés par la redistribution des services sur le territoire. Le service public doit être accessible à tous, sans distinction de ressources, dans des conditions normales de fonctionne-ment pour tous et partout sur le territoire.

 

On a déjà évoqué la décentralisation territoriale, on pour-rait encore mentionner l’implantation des lycées communaux ou des tribunaux de résidence. L’efficacité concerne autant les services publics de secours que les services publics culturels, les services publics de santé que les services publics d’ensei-gnement.

 

La sécurité dans le fonctionnement du service public

 

La sécurité se comprend comme l’ensemble des condi-tions matérielles, économiques et sociales suscitant chez les usagers la confiance en le service. Elles sont destinées à les assurer d’une tranquillité dans l’usage du service, en leur ga-rantissant son bon fonctionnement. Dans nombre de disposi-tions relatives aux obligations de service public qui peuvent être définies à l’endroit des établissements publics et des opé-rateurs privés, outre la continuité, la neutralité du service, l’é-galité de traitement des usagers, est ajouté le respect de certaines prescriptions en matière de sécurité. C’est en matière de transport des personnes que le principe de sécurité a été le plus remarqué. Très tôt, il a conduit à imposer une obligation de résultat à l’organisme assurant un service de transport pu-blic de voyageurs, que cet organisme soit de nature publique ou privée. Les principes « cardinaux » sont intimement liés à l’essence même du service public. Dans la mesure où ils sont altérés, le servicepublic cesse d’être exactement ce qu’il doit être, il connaît une baisse de qualité. Les principes addition-nels paraissent plus sûrement énoncer des conditions de fonc-tionnement, variant selon les acteurs concernés, et venant à l’appui des principes classiques d’égalité, de continuité et de mutabilité. Toutefois, ils impliquent certaines formes d’action et modèles de décision qui s’ajoutent aux pratiques des servi-ces. Les principes de fonctionnement des services publics sont mis à mal par les pratiques corruptives qui sont devenues une composante normale et acceptée de la vie publique. D’autres pratiques, qui ne relèveraient pas de la corruption, altèrent de la même manière le service public. Ce sont les conflits d’inté-rêts, le népotisme et le copinage, le trafic d’influence et le pantouflage.

 

2. Les conduites contraires à l’éthique

 

Les mécanismes de base par lesquels s’opèrent les conduites contraires à l’éthique ont fini par s’installer dans l’accoutumance. On leur trouve des excuses, on s’en accom-mode: c’est la banalisation.

 

2.1. Les mécanismes de base

 

Parmi ces mécanismes, cinq retiendront notre attention: les conflits d’intérêt, le népotisme, le copinage, le clientélis-me, le trafic d’influence et le pantouflage.

 

2.1.1. Les conflits d’intérêt

 

Une autorité administrative se trouve en situation de conflit d’intérêts lorsqu’il existe une contradiction entre ses intérêts personnels directs ou indirects et ceux relevant de ses fonctions. L’article 5, 9 de la loi n°1/28 du 23 août 2006 por-tant statut général des fonctionnaires fait une obligation au fonctionnaire de déclarer ses intérêts financiers et commer-ciaux ou les activités entreprises à des fins lucratives par lui-même ou par les membres de sa famille, si cela peut donner lieu à conflit d’intérêts. Les cas de conflits d’intérêts sont fré-quemment évoqués au Burundi: le dossier brûlant est lié à l’attribution de la place de l’ancien marché central de Bujum-bura qui a dominé l’actualité. De hautes personnalités impli-quées dans le processus de décision sur la concession, seraient parmi les véritables bénéficiaires du marché, cachés derrière la société concessionnaire.9

  1. Le marché en cause consistait en une concession de la place de l’ancien marché central de

Bujumbura à la société chinoise « SINO AFRICAN TRADING AND INVESTMENT INITIATIVES CO. LTD » pendant une période de 50 ans renouvelable. La Présidence de la

République du Burundi a décidé de surseoir à l’attribution sous la pression de la société civile dénonçant les irrégularités de la procédure d’attribution ainsi que de possibles conflits d’intérêts. Voyons, par exemple, D. Hakizimana, La société civile décrie la concession de l’ancien marché central de Bujumbura.(http://www.sociétécivile-burundi.org/index.php/ nouvelles/194-la-société-civile-decrie-la-cession-de-l-ancien-marché-central-de-bujumbura).11 mars 2015.

 

Le conflit d’intérêts est inhérent au fonctionnement des rapports sociaux et nécessite seulement un mode de gestion particulier. Ce qui est inacceptable, c’est que l’autorité admi-nistrative fasse prévaloir ses intérêts personnels sur les res-ponsabilités de sa charge et développe des pratiques de népo-tisme, de copinage, de clientélisme, de trafic d’influence, etc.

 

2.1.2. Le népotisme et le copinage

 

Les deux concepts sont étudiés ensemble parce que le co-pinage est une forme de népotisme.

 

1° Le népotisme

 

Etymologiquement, « népotisme » vient du latin nepos qui signifie neveu ou descendant. Le népotisme est la situa-tion dans laquelle un agent public se sert de son pouvoir pour obtenir une faveur, très souvent un emploi pour un membre de sa famille. Au sens strict, le népotisme désigne « l’abus qu’u-ne personne fait de son crédit, de son influence pour procurer des avantages, des emplois à sa famille, à ses amis » (Le Petit Robert, dictionnaire de la langue française, 2000:1683). Le népotisme est une forme particulière de conflit d’intérêts et l’expression a de plus en plus tendance à être utilisée dans son sens large pour désigner un simple conflit d’intérêts.

 

Une étude de l’Observatoire de l’Action Gouvernementa-le (O.A.G.) sur la transparence dans les recrutements des per-sonnels dans l’administration publique et parapublique au Bu-rundi montre que la violation des règles fondamentales en la matière comme le mérite conduisait à un recrutement opaque

 

reposant notamment sur le népotisme. « On créera des postes fictifs pour les membres de sa famille ou de son appartenance politique et on procédera à la définition de leur rémunéra-tion » (O.A.G. 2013:76 ; International Crisis Group, 2012:6). Empêcher le népotisme ne signifie pas interdire à une autorité administrative d’avoir dans sa sphère professionnelle des rap-ports avec des membres de sa famille, mais éviter qu’il abuse de son pouvoir en leur faveur. Dans le secteur public, il s’agit de veiller à ce que le candidat le plus apte obtienne le poste qu’il mérite, abstraction faite de ses relations personnelles, et que les marchés soient attribués à l’entreprise qui fait la meil-leure offre. Dans le secteur privé, l’éviction du népotisme fera passer l’intérêt de l’entreprise avant celui de ses dirigeants.

 

2° Le copinage

 

Le copinage est une forme de népotisme dans laquelle les faveurs vont aux amis et aux collègues. Dans le langage cou-rant, les deux termes ont tendance à se confondre. Le corpora-tisme constitue une manifestation du copinage. Des postes sont attribués par préférence aux membres d’un même corps professionnel (Transparency International, 2002:340). Dans le contexte burundais actuel, un nouveau vocabulaire :

 

  • Wamaze iki », qui signifie littéralement « en quoi as-tu été utile ? », sert à distinguer ceux qui ont pris les armes des au-tres citoyens anonymes dans l’attribution des postes politiques ou administratifs par le pouvoir en place.

2.1.3. Le clientélisme

Le clientélisme consiste, pour le détenteur d’une autorité,

  • accorder des avantages indus pour fidéliser des personnes et en faire ses obligés. Il recouvre plusieurs pratiques, à savoir:

 

  1. Le recrutement d’agents sur la seule base d’affinités politiques au mépris des règles en vigueur;
  2. La création de postes en faveur d’amis politiques alors que leur utilité n’est pas avérée 10;
  3. L’utilisation d’une position de pouvoir pour assurer l’impunité d’amis politiques qui auraient commis des actes répréhensibles;
  4. L’orientation d’une aide aux populations en fonction de l’appartenance politique;
  5. Le fait de favoriser sa région dans le choix d’implanta-tion d’un projet de développement au détriment des sites plus appropriés.

 

2.1.4. Le trafic d’influence

 

Le trafic d’influence consiste, pour une personne, à per-cevoir une rémunération ou un avantage pour faire obtenir une faveur à une autre personne, en usant de son influence réelle ou supposée.

 

  1. En 2013, alors que la Faculté de Droit de l’Université du Burundi demandait instamment le recrutement des assistants, le Conseil d’Administration a recruté, en violation de la procé-dure de recrutement, des maîtres assistants, parents de personnes bien placées (Université du Burundi / Conseil d’Administration, délibération du 31 juillet 2013).

La notion de trafic d’influence recouvre par exemple les situations dans lesquelles:

 

  1. Un enseignant qui, en contrepartie d’une rétribution, intervient auprès du directeur d’école pour faire inscrire un élève;
  2. Une personne qui, moyennant rétribution, intervient auprès des membres d’une commission d’appel d’offres pour qu’une société soumissionnaire gagne le marché.

 

Le trafic d’influence se manifesterait également sous la forme de ces pratiques dénoncées par des organisations de lutte contre la corruption telle l’OLUCOME consistant, pour des multinationales convoitant et soumissionnaires dans des marchés juteux comme l’exploitation des minerais, à offrir des cadeaux significatifs à des autorités publiques ultérieure-ment impliquées dans le processus d’attribution; par exemple, après l’octroi du permis d’exploitation minière des gisements de nickel et de minerais associés de Waga et Nyabikere au Consortium International d’Affaires de l’Alliance Mondiale des Sports (CIAAMS), l’Olucome parle de trafic d’influence (Mbazumutima 2015).

 

2.1.5. Le pantouflage

 

Le pantouflage désigne la migration d’un fonctionnaire du secteur public vers le secteur privé. Ce phénomène se ma-nifeste par un nouveau type de comportements où les fonc-tionnaires n’envisagent plus le déroulement de leur carrière uniquement au sein des services publics.

 

On compte les comportements suivants parmi les mani-festations du pantouflage:

 

  1. des cadres du secteur public changent leur conduite officielle afin d’améliorer leurs perspectives professionnelles, lors de leur passage du secteur public au secteur privé. Cela concerne les employés de l’administration publique qui agis-sent de façon malhonnête, injuste et partiale ou dont les déci-sions sont influencées par leurs projets d’avenir et par des of-fres d’emploi externe;
  2. les anciens fonctionnaires abusent des informations confidentielles obtenues dans l’exercice de leurs fonctions dans l’administration publique en les mettant à la disposition d’intérêts privés;
  3. les anciens fonctionnaires cherchent à influencer leurs homologues encore en poste pour obtenir d’eux des faveurs ou des informations confidentielles;
  4. la réintégration des fonctionnaires démissionnaires ou limogés peut donner lieu à des pratiques de pantouflage.

 

On peut se demander pourquoi les comportements contraires à l’éthique, qui sont unanimement décriés, sont to-lérés et pratiqués au quotidien.

 

2.2. La banalisation des conduites contraires à l’éthique

 

Après avoir posé le problème de la banalisation des conduites contraires à l’éthique, nous indiquerons un certain nombre de logiques qui contribuent à la banalisation des prati-ques contraires à l’éthique.

 

2.2.1. Précisions conceptuelles

 

La banalisation consiste à faire perdre le caractère excep-tionnel; à faire entrer dans les habitudes sociales. La gestion des services publics repose non seulement sur le respect de la loi mais aussi sur un certain nombre de règles d’éthique parmi lesquelles on peut citer le sens de l’intérêt général, l’intégrité, la probité, l’honnêteté, le sens de responsabilité, etc. Par rap-port à la loi et à ces règles d’éthique, les comportements dé-viants devraient être exceptionnels, d’autant plus que le cadre légal existant prévoit un système de sanctions: sanctions péna-les, sanctions disciplinaires et que les usagers des services pu-blics reprouvent ces comportements et revendiquent une plus grande rectitude dans la gestion des services publics.

 

Par une sorte de renversement de l’échelle des valeurs, les lois et règlements sont violés quotidiennement; l’impunité étant la règle, la sanction, l’exception. Alors qu’ils devraient faire l’objet d’une réprobation sociale, les comportements contraires à l’éthique prospèrent et jouissent même d’une cer-taine légitimité sociale. Aussi, des comportements contraires à l’éthique se banalisent-ils, légitimés par certaines logiques socio-culturelles.

 

2.2.2. Les logiques socio-culturelles légitimant les comportements contraires à l’éthique

 

1° La logique politique

 

L’importance prise ces dernières années, par les clienté-lismes politiques est spectaculaire: du ministre au planton, avoir la carte du parti au pouvoir est un critère de nomination plus important que la compétence. Ce n’est pas un phénomène propre au Burundi, les « remerciements » pour services ren-dus au parti s’inscrivent dans tous les actes administratifs et politiques dans certains pays africains (Blundo, G. et de Sar-dan, J.-P.O., 2001 : 26).

 

Le clientélisme, surtout politique, est enchâssée dans la gouvernance au quotidien au Burundi. Ainsi, à ne considérer que le secteur de l’éducation, une étude diagnostic sur la gou-vernance et la corruption au Burundi menée en 2008 montrait que quatre-vingt-quatre pour cent (84%) des fonctionnaires interrogés avaient déclaré que les nominations dans ce secteur étaient basées sur des critères politiques (Ministère de la Bon-ne Gouvernance, 2008:42). Le pourcentage des répondants dénonçant le phénomène atteignait 91% s’agissant du secteur judiciaire (Idem:46).

 

2° La logique économique

 

Le fait de bénéficier d’un poste politique et/ou adminis-tratif dit « juteux » est considéré le plus souvent comme une occasion dont il faut profiter au plus vite et au maximum. Ce-lui qui n’a pas su saisir l’occasion lorsqu’elle se présentait est

 

considéré comme anormal, parfois comme un «fou» ; telle-ment les exceptions sont rares. Il faut accumuler le plus rapi-dement possible, sans oublier son entourage. La rapidité avec laquelle les nouvelles autorités s’enrichissent donne le vertige (Ngendahayo 2015:5). On créera alors des postes fictifs pour un membre de la famille ou de son groupe d’appartenance, ou définira les termes de référence sur mesure. Le dossier d’ap-pel d’offres pour la réhabilitation d’un tronçon de RN5 Bu-jumbura-Nyamitanga d’une longueur de 30,1km contenait une clause « expérience au Burundi durant la période 2008-2013 » qui donnait 15 points pour trois projets exécutés dans la pério-de; ce qui constituait une faveur pour la société française So-gea-Satom, la seule à remplir cette condition (Rufyikiri 2016:8). La concession du port de Bujumbura est un exemple de création de société fictive (Secomib) contrôlée par une per-sonne invisible (Rufyikiri 2016:10).

 

3° La logique sociale

 

La pression du milieu environnant pousse à banaliser les comportements contraires à l’éthique. Refuser un passe-droit

 

  • une personne recommandée, c’est manquer aux règles élé-mentaires de la politesse; ne pas favoriser les parents ou amis, les amis des amis, c’est manquer à la morale sociale.

 

4° La crise des fondements éthiques

 

Les fondements de l’éthique sont en crise. La loi est dé-sacralisée; le sens de responsabilité est rétréci; le sens de soli-darité est affaibli.

 

A ce sujet, nous épousons la réflexion d’E. Morin (2004:23) sur la crise des fondements éthiques produite par huit facteurs suivants:

 

  1. La détérioration accrue du tissu social en de nom-breux domaines

 

La famille, l’école, le milieu professionnel ne sont plus des endroits sûrs d’acquisition des valeurs morales. La famille a éclaté, les études ne sont pas la garantie du succès, la cons-cience professionnelle est regardée avec mépris. On dit sou-vent « ni umugabo, c’est-à-dire c’est un véritable homme », parlant du tricheur qui devient ainsi fort, intelligent, coura-geux. C’est une apologie à peine voilée de la tromperie, du vol.

 

  1. L’affaiblissement de l’impératif communautaire et de la loi collective à l’intérieur des esprits

 

Dans les structures sociales traditionnelles, la dimension communautaire constitue l’essence même de l’individu. Cha-cun sait que les siens sont là pour lui, qu’il est là pour eux; d’où un esprit de générosité qui pousse à se préoccuper des siens, des voisins, des autres.

 

Dans ce cadre, la recherche d’intérêts individuels com-mandés par la froide raison calculatrice a peu de place (Ntabona 1987: 322, 324 et 328). Aujourd’hui, l’individualis-me a triomphé. Les individus vont jusqu’à tout sacrifier à soi: famille, honneur, patrie, etc.

 

(iii) La dégradation des solidarités traditionnelles

 

Les réseaux de solidarité traditionnelle, s’ils n’ont pas disparu, se sont distendus. L’échange de biens et de services réciproques qui était le socle de la solidarité traditionnelle a cédé le pas à des échanges marchands affectés d’un prix (Nsanze 2004:344).

 

  1. Le morcellement et parfois la dissolution de la responsabilité dans le cloisonnement et la bureau-cratisation des organisations et entreprises

 

Dans la tradition, la dimension communautaire implique une coresponsabilité qui se traduit notamment par l’interven-tion spontanée pour sauvegarder les biens d’autrui ou pour préserver l’intégrité physique d’autrui. Une vache allait-elle mettre bas, le premier passant appelait les voisins; des vivres séchés au soleil étaient-ils menacés par la pluie, le voisin les couvrait; une personne était-elle condamnée à payer une lour-de dette, la famille se cotisait pour la libérer de son obligation (Nsanze 2004:345). Aujourd’hui, la sécurité des biens et des personnes est devenue l’affaire des pouvoirs publics représen-tés par des bureaucrates, si éloignés, si désincarnés.

 

  1. Le caractère de plus en plus extérieur et anonyme de la réalité sociale par rapport à l’individu

 

La vie sociale repose sur une profonde conviction de l’ap-partenance de l’individu à une communauté. L’individu res-sent l’injonction d’un devoir envers cette communauté qui lui impose des normes de conduite à respecter impérativement.

 

Alors que la relation profonde entre l’individu et sa famille, sa communauté, sa patrie, résiste plus à l’usure que la relation imposée de l’extérieur, il apparaît de nos jours qu’on ne puise pas dans la tradition et les emprunts extérieurs mal digérés n’ont pas de prise sur les comportements éthiques. La création des institutions de lutte contre la corruption et l’adoption d’instruments juridiques de gouvernance publique n’ont pas diminué l’ampleur de la corruption (International Crisis Group 2012:5-9).

 

  1. Le sur-développement du principe égocentrique au détriment du principe altruiste

 

La désintégration des communautés traditionnelles abou-tit notamment à l’individualisme, source d’égocentris-me. Cette situation favorise le primat du plaisir ou de l’intérêt sur le devoir. Ainsi, les détournements de biens publics répon-dent à l’envie de vivre dans le luxe et d’accumuler les riches-ses le plus rapidement possible (Rufyikiri, G., 2016 : 14).

 

  1. La désarticulation du lien entre individu, espèce et société

 

L’individu est un être situé dans une communauté qui part de la famille, s’élargit aux voisins et aux compatriotes. Le cercle s’agrandit à l’espèce humaine. « Abantu ni bamwe », ce qui veut dire que « Tous les hommes ont quelque chose de commun ».Théoriquement, on ne pourrait envisager les per-sonnes qui ont un destin commun juxtaposées ou en confron-tation.

 

Dans ce climat de reconnaissance à l’appartenance com-mune, on recherche la solidarité. L’identification de l’individu aux membres de sa communauté, aux voisins, aux compatrio-tes, aux semblables, induit des rapports dominés par l’impéra-tif communautaire et le dispositif normatif édicté par la socié-té. Le relâchement de l’étreinte communautaire conduit au développement de l’égocentrisme. La libéralisation du dispo-sitif normatif débouche sur le « self-service normatif »; ce qui veut dire que « chacun choisit ses valeurs ». La boucle indivi-du – société – espèce est en crise.

 

  1. La démoralisation qui culmine dans l’anonymat de la société de masse, le déferlement médiatique, la survalorisation de l’argent

 

La désintégration sociale entraîne la disparition de la communauté. L’individu est alors livré à lui-même, cible faci-le d’une propagande multiforme (raciste, ethnique, religieux, etc.) véhiculée par les médias. Il risque de retourner aux fon-dements exclusifs. A la solidarité traditionnelle se sont substi-tués des échanges marchands qui obligent à une quête perma-nente d’argent liquide qui est devenu le symbole du succès.

 

2.3. Les conséquences des conduites contraires à l’éthique

 

Les pratiques contraires à l’éthique entraînent des consé-quences graves sur la gestion du service public ou de l’Etat au quotidien. Sans prétendre à l’exhaustivité, nous indiquerons les conséquences néfastes sur le fonctionnement des services publics, qui rejaillissent sur le fonctionnement de l’Etat.

 

2.3.1. Sur le fonctionnement des services publics

 

1° La mise en cause des règles fondamentales du fonc-tionnement des services publics

 

Ces comportements engendrent une société injuste qui ne garantit plus l’égalité des droits et des chances pour ses ci-toyens. Ainsi, des postes fictifs pour un membre de la famille ou de son groupe sont créés; des marchés seront accordés à des hommes politiques ou à leurs protégés; le rapport à la jus-tice dépend du poids social et économique et des relations que l’usager est capable de mobiliser et de mettre à profit dans l’appareil judiciaire. Il est couramment admis qu’un justicia-ble pauvre et sans relations peut passer plusieurs années en détention préventive sans bénéficier de l’assistance d’un avo-cat. De telles pratiques se sont beaucoup développées au Bu-rundi et ont fini par être considérées comme normales.

 

2° La désorganisation de l’administration

 

Le fonctionnement de l’administration repose sur l’appli-cation des lois et règlements. Dans les services publics domi-nés par le clientélisme ou le népotisme, les lois et règlements sont allègrement bafoués au quotidien en toute impunité avec comme conséquence la désorganisation de l’administration. Les ajournements successifs des audiences par les cours et tribunaux par exemple laissent croupir dans les geôles des centaines des détenus en attente de jugement au mépris de la procédure. La conséquence est l’explosion de la population carcérale bien au-delà de la capacité d’accueil.

 

Ainsi, la situation carcérale fournie au 9 juillet 2015 par la Direction générale des affaires pénitentiaires laisse voir un effectif total de 7.924 pour une capacité d’accueil de 4.250 (Direction générale des affaires pénitentiaires 2015). L’administration peut être bloquée dans son fonctionnement par des formes variées de pénurie (structurelle, organisée ou simulée). Il arrive également que des goulots d’étranglement soient créés sciemment par les agents. On invoque la pénurie de carburant pour expliquer les retards accumulés dans l’exé-cution des jugements. Les justiciables payent l’« inderuzo », littéralement « civière », entendu ici comme une somme d’ar-gent pour louer un moyen de déplacement des juges chargés de faire exécuter la sentence.

 

3° L’inefficacité du service public

 

L’efficacité repose sur un système de contrôle pour s’as-surer notamment de la qualité des prestations. Dans un systè-me bâti sur le clientélisme ou le népotisme, l’agent public a peu de comptes à rendre à la hiérarchie. L’absence de contrô-les va laisser prospérer des comportements contraires à l’éthi-que, voire des négligences professionnelles dont souffrent les usagers des services publics. Le cas de délivrance des docu-ments administratifs, notamment dans le cas des transports, illustre souvent cette situation. Au contrôle technique des vé-hicules, on envoie les papiers du véhicule et des véhicules techniquement dangereux pour le transport des personnes res-tent en circulation.

 

2.3.2. Sur les finances publiques

 

Le développement des pratiques contraires à l’éthique entraîne le pillage des deniers publics. Les agents de l’Etat, recrutés sur base des critères ethniques, régionaux ou fami-liaux, connaissent des postes « juteux » qui permettent d’ac-cumuler très rapidement au détriment du Trésor: douane, poli-ce, marchés publics, organisations internationales, etc. Ces postes sont distribués dans une logique de récompense politi-que, de placement des parents ou des amis afin qu’ils « bouffent » aussi.

 

2.3.3. Sur les valeurs républicaines 1° Le triomphe de l’égocentrisme

 

Le logiciel commandant le « pour soi » a triomphé sur le logiciel commandant le « pour nous ».

 

On pense famille, ethnie, région au lieu de penser nation. On pense « ventre ». Le terme « kazima mfise ico ndahakura, c’est-à-dire pourvu que j’en profite » traduit des préoccupa-tions bassement et uniquement matérielles.

 

2° La privatisation de l’Etat

 

L’Etat est en quelque sorte privatisé au profit de ceux qui y détiennent une position d’autorité, d’abord au sommet de l’Etat, mais à tous les niveaux de la pyramide étatique. Le di-rigeant politique se comporte en chef patrimonial, c’est-à-dire en véritable propriétaire de son espace de pouvoir.

 

La gestion de l’Etat repose sur la redistribution mais une redistribution fondée sur le favoritisme. Un tel Etat risque de se transformer en Etat purement prédateur, utilisant la force uniquement pour se maintenir au pouvoir et en extraire tous les bénéfices possibles. Les postes politiques ou administratifs sont ainsi un outil d’enrichissement: douane, police, justice, marchés publics, etc.

 

3° La personnalisation des relations administratives

 

Dans les services publics où règne le favoritisme, l’usager anonyme est ignoré, mal reçu, souvent humilié, parfois ru-doyé.

 

Alors que, selon les normes administratives, la relation standard, fonctionnelle, entre agents publics et usagers devrait être de type anonyme, la relation personnelle s’avère la seule efficace. L’usager anonyme, qui ne dispose pas de contacts au sein du service, est méprisé, maltraité, voire déshumanisé. En revanche, le cadeau ou la recommandation déclenchent la sol-licitude et l’attention de l’agent public: on sort de la sphère de l’anonymat pour devenir un citoyen digne de respect.

 

Le clientélisme politique déjà évoqué est un exemple de cette relation. L’analyse que nous venons de présenter fait ap-paraître la crise des fondements éthiques dans le service pu-blic burundais. Cette crise fragilise considérablement l’Etat. Son traitement appelle un certain nombre d’actions sur le plan politique, institutionnel, juridique, économique, social et pro-fessionnel.

 

  1. Propositions pour la promotion des comportements éthiques dans le service public

 

L’éthique doit être l’une des bases du fonctionnement du service public. Pour maintenir un certain niveau d’éthique, les efforts doivent être déployés dans le cadre d’un système glo-bal et cohérent.

 

3.1. Préalables à la promotion de comportements éthi-ques dans le service public

 

3.1.1. La lutte contre la pauvreté

 

La mise en place d’un système de gestion du service pu-blic basé sur l’éthique s’avère difficile, particulièrement lors-que les conditions préalables à ce mode de gestion existent peu ou pas, à l’exemple de notre pays où le niveau de vie est très bas. Ventre affamé n’a point d’oreilles « Ntawugira iteka atekeye mu vyatsi », c’est-à-dire, « il n’y a pas de dignité pour les pauvres ». Comment pourrait-on exiger des agents du ser-vice public un comportement éthique dans une société minée par la pauvreté, les contraintes économiques et sociales, l’in-flation continue et quand les gouvernements à la tête du pays n’affichent pas une réelle volonté politique de changement ?

 

3.1.2. L’éducation civique

 

Il s’agirait d’insister sur l’éducation civique et morale à l’école. Il faudrait inculquer aux futurs cadres des valeurs d’é-thique, d’intégrité, de bonne gouvernance et de gestion de la chose publique.

Les programmes scolaires et les filières d’enseignement devraient intégrer des leçons axées sur ces valeurs. Cette for-mation s’inscrit bien entendu dans un processus continu d’é-ducation à l’éthique.

 

3.2. Actions à mener

 

Sur le plan politique, institutionnel, juridique, social, éco-nomique et professionnel, nombre d’actions peuvent être me-nées. Il s’agit de développer une ferme volonté politique d’é-radiquer ces maux; de restaurer l’Etat, les institutions et les procédures; de mettre en place un arsenal légal adéquat; d’éla-borer des normes en puisant dans la culture traditionnelle; de mettre en action une bonne gestion financière et d’encourager la promotion sur base de mérite.

 

3.2.1. Le développement de la volonté politique 1° Importance de la volonté politique

 

L’éradication des comportements contraires à l’éthique est une tâche immense. La volonté politique est indispensable pour mener à bien cette tâche. Cette volonté, affichée dans les promesses électorales ou dans les discours de l’exécutif (Cabinet du Président de la République 2010), demeure sans lendemain, parce que non suivie de mesures concrètes. La vo-lonté proclamée doit donc être suivie d’une application effec-tive. Des destitutions en cours de mandat dans le cas de man-quements graves devraient être possibles. Auparavant, il faut vaincre toutes les résistances notamment par une large et forte sensibilisation.

 

2° Axes de sensibilisation

 

La volonté politique repose en particulier sur une large sensibilisation dans deux directions: respect de la réglementa-tion, appropriation par les usagers des normes éthiques.

 

• Sensibilisation au respect de la réglementation

 

Il faudrait insister sur le strict respect de la loi et des pro-cédures de gestion des services publics. Il faudrait informer et former les gestionnaires du service public à la maîtrise de la loi et son strict respect. Il n’est pas rare, en effet, que des au-torités publiques se livrent, par ignorance ou inconscience, à des comportements s’écartant des normes éthiques.

 

A propos de la corruption par exemple Julien Nimubona et Christophe Sebudandi estiment que « La sensibilisation au-tour de la corruption devrait avoir la même ampleur que celle faite pour lutter contre le sida, car elle est aussi une maladie incurable. La plupart des personnes qui se livrent à la corrup-tion ignorent que c’est un délit grave. A ce sujet, une campa-gne de sensibilisation est nécessaire » (Nimubona et Sebudan-di 2007:38).

 

  • Sensibilisation accrue en faveur de l’appropriation par les usagers des normes éthiques

 

Il s’agit là d’un point important qui touche en quelque sorte à la revendication d’une redevabilité par les citoyens et les bénéficiaires du service public à l’endroit des gestionnai-res.

 

La  redevabilité,   connue   en   anglais   sous   l’appellation

 

  • accountability » est un élément significatif du système de lutte contre les comportements contraires à l’éthique dans la gestion des services publics. Si ces comportements se ren-contrent au sein des administrations et des services de l’Etat contrôlés; ils vont prospérer en l’absence de contrôles au dé-triment des usagers. L’agent public doit rendre compte: il ne peut organiser le service comme bon lui semble ; l’intérêt des usagers doit être au centre de ses préoccupations.

 

Dans ce cadre, il faut en effet que les citoyens soient in-formés de leurs droits, soient suffisamment armés pour les revendiquer et les défendre. Dans le contexte burundais, il n’est point besoin de démontrer que des citoyens sont dans l’ignorance de leurs droits et désarmés pour pouvoir les exer-cer. De telles sensibilisations devraient également offrir l’oc-casion d’engager un débat interactif sur l’éthique profession-nelle.

 

3.2.2. La restauration de l’Etat, des institutions de contrôle et des procédures

 

L’exécutif a un rôle très important à jouer comme modèle d’intégrité. Il doit manifester sans ambiguïté sa ferme volonté de fonctionner selon des normes et principes éthiques. Il doit renforcer son autorité dans le respect des lois, assurer son contrôle sur le fonctionnement des services publics et garantir une tonalité morale à la gestion de la chose publique.

 

Les corps d’inspection et de contrôle doivent disposer de ressources et de pouvoirs leur permettant d’accomplir leurs fonctions de manière indépendante. Le respect des procédures s’impose comme une nécessité. Il permettrait d’introduire plus de transparence et d’intégrité dans la passation des mar-chés publics et dans les recrutements des agents publics. Il permettrait également de rendre une justice équitable, dans des délais raisonnables.

 

3.2.3. La mise en place d’un arsenal légal adéquat

 

La création d’un climat d’intégrité dans le service public requiert un certain nombre d’instruments parmi lesquels figu-rent les lois, les règles et les codes de conduite.Ces lois, ces règles et ces codes existent.

A titre d’exemples, on peut citer cinq textes :

 

  • Loi n°1/001 du 29 février 2000 portant réforme du statut des magistrats;
  • Loi n°1/12 du 18 avril 2006 portant mesures de préven-tion et de répression de la corruption et des infractions connexes;
  • Loi n°1/28 du 23 août 2006 portant Statut général des fonctionnaires;
  • Loi n°1/01 du 4 février 2008 portant Code des marchés publics du Burundi;
  • Décret n°100/114 du 30 avril 2013 portant guide déon-tologique et disciplinaire des magistrats.

 

Il ne suffit pas que les lois existent, elles doivent être res-pectées et appliquées. Un des facteurs des comportements non éthiques de quelque nature qu’ils soient consiste dans leur to-lérance et l’impunité des auteurs.

 

Une application stricte de la loi par des institutions et mé-canismes d’application efficaces contribuerait à éradiquer les violations de la loi ou les écarts des règles d’éthique.

 

3.2.4. La régénération des valeurs éthiques de la culture traditionnelle

 

Les lois ne peuvent rien quand les fondements sont ébran-lés. Même si la société burundaise donne les apparences d’une société sans repères, la tradition burundaise avait atteint des valeurs qui peuvent servir de terreau pour construire le présent et asseoir l’avenir.

 

Les expressions « kubungabunga igihugu », c’est-à-dire soigner le bien commun, « kutaraba nkunzi », c’est-à-dire se défaire de considérations de personnes, « kudakunda inda n’a-maronko », c’est-à-dire être sobre et éviter un enrichissement corrupteur renvoient au socle des valeurs morales de la culture burundaise d’intégrité, de sens du bien commun, d’impartiali-té (Ntabona 1999:112-114). Il faudrait puiser dans ce socle pour revigorer ces valeurs dans une perspective de promotion des comportements éthiques dans le service public.

 

3.2.5. La mise en action d’une bonne gestion financière

1° Position du problème

 

L’une des conséquences des pratiques contraires à l’éthi-que sur l’économie est le pillage des deniers publics. De façon générale, ces pratiques entraînent l’appauvrissement de l’éco-nomie. Il convient de mettre en action une bonne gestion fi-nancière, élément de croissance économique. Quelques axes permettent d’éliminer les obstacles à cette mise en place: une forte mobilisation des ressources, une utilisation efficiente des ressources et leur sauvegarde.

 

2° Eléments d’une bonne gestion financière • La mobilisation des ressources

 

Sur le plan international, le climat créé par ces pratiques provoque un mouvement d’opinion hostile aux aides et a un effet répulsif sur les bailleurs de fonds et les investissements privés. Réduisant les investissements, elles ralentissent la croissance (Domel 2003:52).

 

A l’intérieur du pays, la course à l’argent facile découra-ge ceux qui seraient prêts à travailler dur et honnêtement, les vrais entrepreneurs. Il convient d’enraciner la notion de bonne gestion financière dans les services publics. Le dispositif de bonne gestion financière à tous les niveaux des services pu-blics intègre les questions de légalité, d’opportunité et de contrôle.

 

Une bonne gestion financière rassure les donateurs et les bailleurs de fonds étrangers et ne bloque pas les initiatives des investisseurs locaux.

 

• L’utilisation efficiente des ressources

 

Les pratiques contraires à l’éthique coûtent très cher à l’Etat et aux contribuables. Les dépenses publiques sont alour-dies sans que la qualité de la marchandise ou de la prestation ne soit bonne. Les entreprises retenues comme «fournisseurs» ou « prestataires » ne sont pas celles qui offrent la meilleure qualité pour le meilleur prix, mais celles qui offrent le plus gros pot de vin.

 

Les crédits budgétaires et les ressources en devises sont gaspillés pour engager des investissements inutiles, pourvu qu’une commission soit touchée. Une bonne gestion financiè-re se consacre non seulement au respect de la légalité, mais aussi à la réalisation d’un objectif d’efficience, voire d’oppor-tunité des dépenses.

 

• La sauvegarde des ressources

 

Elle passe en particulier par des contrôles adéquats. En plus des contrôles internes, les institutions externes de contrô-le telles que l’Inspection Générale de l’Etat, la Cour des comptes et les Commissions parlementaires sont autant d’in-tervenants.

 

Le principe général d’indépendance de ces instances est une garantie de la crédibilité de leurs contrôles.

 

Un complément indispensable des contrôles de bonne gestion financière réside dans la sanction. L’impunité est le plus sûr encouragement aux pratiques de mauvaise gestion.

 

3.2.6. L’encouragement de comportements éthiques

 

L’encouragement des agents publics modèles peut être un facteur déterminant d’incitation à des comportements éthiques dans le service public. Déjà proposées et utilisées comme me-sures d’incitation à la dénonciation, par exemple de la corrup-tion, les mesures d’encouragement des comportements éthi-ques peuvent s’avérer très efficaces dans la promotion des va-leurs éthiques. Il serait question, par exemple, de généraliser la promotion et l’ascension sur base de performances profes-sionnelles et non sur base de népotisme et de clientélisme.

 

CONCLUSION GÉNÉRALE

 

L’éthique représente un système de valeurs et signifie le respect des lois et un ensemble de comportements à connota-tion morale. Le service public est une activité dont la finalité est la satisfaction des besoins d’intérêt général. L’éthique dans le service public obéit à des règles et à des principes parmi lesquels on peut citer: l’impartialité, l’intégrité, la dignité, la probité, la loyauté, l’esprit patriotique, la solidarité et le sens de la parole donnée. Le service public quant à lui est soumis au respect de trois principes fondamentaux, à savoir la conti-nuité, l’égalité et la mutabilité.

 

A   cette   trilogie    traditionnelle    se    sont    ajoutés    de nouveaux principes » qui constituent en réalité des préci-sions relatives aux conditions de fonctionnement des services publics. Deux d’entre eux s’attachent aux formes de délivran-ce des prestations: la qualité du service public et l’accessibili-té au/du service public. Les deux autres s’attachent à l’idée de performance et de précaution: l’efficacité du service public et la sécurité dans le fonctionnement du service public. Les com-portements éthiques et les principes du service public doivent être à la base du fonctionnement des services publics. Cepen-dant, ces derniers sont minés par des pratiques corruptives et autres mauvaises pratiques telles que les conflits d’intérêts, le népotisme et le copinage, le clientélisme, le trafic d’influence ainsi que le pantouflage. Ces pratiques, pourtant unanimement décriées, sont malheureusement tolérées et pratiquées au quo-tidien.

 

Elles obéissent à des logiques qui contribuent à cette ba-nalisation: logique politique (clientélisme), logique économi-que (enrichissement rapide), logique sociale (pression du mi-lieu). En ce qui concerne la gestion des services publics, ces pratiques entraînent des conséquences très graves. Les règles fondamentales du fonctionnement des services publics sont bafouées. L’administration est désorganisée et le service pu-blic est inefficace. Les deniers publics sont pillés à bras rac-courcis. Les valeurs républicaines (solidarité) sont écartées pour laisser place à l’égocentrisme, au favoritisme, etc.

 

La crise des principes du service public et des fondements éthiques dans le service public fragilise considérablement l’E-tat. Le remède nécessite un certain nombre d’actions sur le plan politique, institutionnel, juridique, économique, social et professionnel. Ces actions doivent s’inscrire dans un contexte général de lutte contre la pauvreté et de réveil de la conscien-ce morale par l’éducation civique et morale.

 

La volonté politique est indispensable pour éradiquer les mauvaises pratiques. Cette volonté repose notamment sur une forte sensibilisation au respect de la réglementation et en fa-veur de l’appropriation par les usagers des normes éthiques. L’exécutif doit assurer un contrôle sur le fonctionnement des services publics, dans le respect de la loi et selon un haut ni-veau d’éthique. Il doit doter les institutions de contrôle de moyens et de pouvoirs suffisants pour leur permettre d’ac-complir leurs missions. Le respect des procédures permettrait d’introduire plus de transparence dans la passation des mar-

 

chés publics et le recrutement des agents publics; de rendre une justice équitable, dans des délais raisonnables. La création d’un climat d’intégrité requiert un certain nombre d’instru-ments juridiques parmi lesquels figurent les lois, les règles et codes de conduite. Ces lois, ces règles et ces codes de condui-te doivent être respectées et appliquées. Les lois sont impuis-santes lorsque la crise éthique est générale. La désintégration sociale, la croissance de mauvaises pratiques, l’omniprésence des incivilités, le déchaînement des violences suscitent la de-mande d’une nouvelle éthique.

 

Il importe de ressourcer l’éthique en puisant dans les va-leurs morales de la culture burundaise. Il convient par ailleurs d’intégrer la notion de bonne gestion financière dans les servi-ces publics. Pareille démarche rassure les donateurs et les bailleurs de fonds étrangers et libère les initiatives des inves-tisseurs locaux. Le dispositif de bonne gestion financière porte non seulement sur les questions de légalité, mais se consacre aussi à la réalisation d’un objectif d’efficience, voire d’oppor-tunité des dépenses et de leur contrôle. Des règles de recrute-ment et de déroulement de carrière basées sur le mérite peu-vent enfin s’avérer efficaces pour enraciner une culture de l’é-thique.

BIBLIOGRAPHIE

 

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