Comprendre la corruption pour la contenir

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INFORMATIQUE

Deux événements de l’actualité brûlante permettent de remarquer l’ampleur de l’emprise de la corruption sur nos so-ciétés et sur notre être. Partons du dernier scandale d’évasion fiscale dit des «Panama Papers». Ce scandale qui n’en est point le dernier atteste d’un phénomène de corruption transna-tionale. De Londres à Washington, de Kigali à Macao, l’on réalise avec égarement combien les hommes d’Etat, les mil-liardaires, les sportifs que nous adorons par médias interposés ont rivalisé dans la création des sociétés offshore (Le Monde 2015). Bien plus, ce scandale aura montré à la face du monde que les humains de toutes les sociétés, développées ou en pas-se de le devenir, sont soumis au spectre de la corruption. Le second cas est celui qui a mouillé le monde du ballon rond en frappant au cœur du football international: la FIFA. La chute de Joseph S. Blatter et de Michel Platini et de leurs thuriféraires sur fond de pot-de vin ayant émaillé l’attribution de l’or-ganisation des Coupes du monde (Gefroy 2015) lève le soup-çon sur le lien entre la corruption et la pauvreté étant donné que ce sont généralement les pays riches qui bataillent dans l’organisation de cet événement planétaire.

Somme toute, ces deux cas parmi des milliers de scanda-les qui émaillent l’actualité, témoignent de l’involution de nos sociétés et présentent la corruption comme la peste contempo-raine plus que jamais résistante à toutes les thérapies.

Pourtant, depuis un certain temps, la plupart des déci-deurs politiques, au Nord comme au Sud, s’évertuent à juguler la corruption. Progressivement, le contrôle de la corruption, ou la lutte contre la corruption-pour utiliser le langage qui nous est familier s’est érigée en véritable mantra de toutes les politiques publiques dites de «Bonne Gouvernance». C’en est par ailleurs devenu un indicateur de la gouvernance, entendu ici un indicateur de la manière dont la société se pilote et se dirige.

Etant donné que le lien entre corruption et mauvaise gou-vernance semble de plus en plus établi, tous les décideurs po-litiques émettent des mesures pour la contenir. Les dispositifs institutionnels (cours et tribunaux, brigade anticorruption) ainsi que des arsenaux légaux allant du global (chartes et conventions régionale et internationale) au local (lois nationa-les, arrêtés, directives administratives, etc.) sont ici et là im-plémentés.

Des organisations nationales et internationales ayant en toile de fond la lutte contre la corruption naissent et prolifè-rent chaque jour. Mais nos Etats, nos sociétés résistent. Dans les pays développés réunis au sein de l’OCDE, il a été consta-té que la corruption dans les échanges internationaux porte atteinte au développement chaque fois que les contrats ne re-viennent pas aux meilleurs fournisseurs, que les prix sont gon-flés pour couvrir le versement de pots-de-vin, les normes en-vironnementales ne sont pas respectées et les taxes ne sont pas perçues. La signature de la convention de l’OCDE sur la lutte contre la corruption ambitionnait de contenir la corruption au sein des Etats membres, afin de donner un exemple aux pays pauvres et très endettés pour lesquelles la corruption est deve-nue endémique. Pourtant, comme le note Transparency Inter-national dans un rapport publié en 2015, sur 41 pays euro-péens signataires de la convention de l’OCDE, 22 pays ne la respectent pas (Nouvel observateur 2015).

De nos jours, la corruption apparaît comme la source des conflits et de la fragilité récurrente surtout sur le continent africain. Les derniers rebondissements sur l’(in) sécurité inter-nationale l’épingle comme un facteur largement pondéré de l’émergence du terrorisme transnational (OCDE 2016). De toute évidence, si elle n’est pas l’ingrédient principal, nul ne doute qu’elle ait exacerbé les causes et sapé les fondements logiques des mesures coercitives prises ou envisageables par les décideurs publics.

Cependant, les êtres humains demeurent au centre de ce défi. Nous opposons une résistance à la lutte contre la corrup-tion parce que nous nous avuons incapables de formater nos «logiciels» mentaux. De là trois questions auxquelles les contributeurs à ce numéro essayent de répondre.

1. La corruption, un mal nécessaire pour les humains?

Tout un champ sémantique s’est construit au fil des an-nées dans toutes les sociétés pour inoculer à dose homéopathi-que une autre conception des rapports sociaux producteurs de comportements corruptifs.

L’enchâssement symbolique de la corruption (Blundo et De Sardan 2001) génère des logiques illogiques faisant de la corruption un mal nécessaire.

Au Burundi, certains dictons disent «Ntawutunga ativye i.e «personne ne peut s’enrichir sans voler», «Umugabo n’u-wurya utwiwe n’utwabandi i.e. le véritable homme est celui qui se sert aussi sur la part des autres», «Ushengera ata mpamba ugashenguruka atajambo i.e Si on part à la cour des grands sans rien apporter, on rentre à son tour sans être écouté», etc. Est-il nécessaire dans ce contexte de vilipender les corrupteurs et les corrompus si toute la société est sociali-sée à de telles pratiques?

Cette sémiologie de la corruption induit une forme de perversion du don (Hénaff 2014) naturellement au centre des relations humaines, et partant, met en place tout un processus d’inversion des valeurs acceptables pour la société.

C’est une situation qui soumet mêmes les lois anti-corruption à une détermination négativement garantie. La «tolérance Zéro» proclamée en 2010 par le chef de l’Etat est devenu par dérision «l’appel à la corruption parce qu’on tolère la corruption». Pourtant, face au développement des pratiques corruptives, il se développe des comportements contraires aux valeurs morales les plus communes d’intégrité, de rectitude, de conscience professionnelle, etc., bref à l’éthique comme le montre Michel Masabo.

En effet, dans sa contribution, avec la corruption, c’est tout un processus de remise en cause des règles fondamentales de fonctionnement des services publics, la désorganisation de l’administration, le pillage des deniers publics, le dépérisse-ment des valeurs républicaines qui s’est mis en marche et a entrainé avec lui le développement d’espaces anétatiques au cœur du fonctionnement de l’Etat. Un processus qui repose la question de la pertinence des mécanismes de lutte contre la corruption mis en place.

Dans une démarche plutôt philosophique centrée sur l’ê-tre (à la fois corrupteur et corrompu), la contribution de Jean-Marie Katubadi-Bakenge pose que, pour des sociétés gangré-nées par la corruption comme le Burundi, le grand défi reste de comprendre comment la situation de dépérissement ou de déficience ontologique peut devenir pour l’être humain l’a-morce d’un processus d’assomption une fois une metanoia profonde entamée.

2. La corruption, un booster ou une entrave au développement?

Cette question n’est pas tranchée sur le plan théorique. Les théories libérales ont longtemps considéré la corruption comme un moteur des réformes de nature à propulser la mo-dernisation de l’Etat. Le lien entre corruption et développe-ment par les pratiques de libre marché s’est avéré d’une forte probabilité (Lucchini Ricardo 1995). Autant dire qu’en igno-rant la dimension éthique, la dimension criminelle retrouve ses lettres de noblesse en faisant de la corruption un booster du développement de nos sociétés, de nos Etats. Mais comme le montre la contribution de François-Xavier Mureha, la cor-ruption constitue une entrave au développement.

Pour cet auteur qui a effectué une analyse économétrique de l’effet de la corruption sur l’investissement privé au Burun-di, le comportement rentier et prédateur qu’entretient la cor-ruption, étouffe l’esprit d’initiative et d’entreprise et la cor-ruption agit comme une taxe supplémentaire d’investissement qui décourage les investisseurs locaux et étrangers, lesquels préfèrent des activités de spéculation et de courte échéance à la place des investissements de grande envergure. En outre, comme le montre Mamadou Aguibou Diallo, au Burundi comme partout en Afrique, la corruption en tant qu’élément structurel de l’environnement social des affaires met à rude épreuve la réinvention des modèles classiques des politiques de sécurité sociale.

3. La corruption, peut-on la contenir?

Tous les Etats du monde s’évertuent à lutter contre la cor-ruption. Des indicateurs pour la mesurer et des instruments pour la contenir se sont multipliés surtout au cours du 21e siè-cle. Les résultats restent mitigés surtout pour le cas du Burun-di (EACBI 2015). La « nature » humaine et sociale de la cor-ruption ne permet pas de jeter les bases politiques et sociales de sa lutte. Les lois à elles seules ne suffisent pas pour rétablir la norme dans nos consciences et nos cités corrompues. Tou-tes les contributions de ce numéro rappellent explicitement ou implicitement la nécessité de lutter contre la corruption au Bu-rundi. Aussi faut-il une adhésion holiste de toutes les compo-santes de la société burundaise, les gouvernants comme les gouvernés, les jeunes comme les adultes, les éduqués comme les non éduqués. Qui serait à l’abri des conséquences directes et indirectes de la corruption?

Bonne lecture

 

 

BIBLIOGRAPHIE

 

 

 

 

 

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